Je cherchais du regard dans ma chambre, un truc pour m'accrocher. Je ne pleurais pas. Pour une fois, non, je ne pleurais pas. Ce n'était pas le moment de pleurer. C'était pas le moment de se laisser aller parce que y'aurait rien pour me rattraper. Rien du tout. Cette fois, j'étais tout seul, je ne faisais plus parti d'un duo, je n'étais plus punk à chien. J'étais chien, c'est tout, je n'étais plus rien d'autre. A quoi bon avoir des rangers si elles ne courent pas après Sault ? Et toi putain de blouson en cuir, t'as l'air beau comme ça, tout seul, sans husky prêt de toi. T'as l'air fin, t'as l'air utile.
Je pris ma tête dans mes mains. Ça faisait une heure que j'étais assit contre mon lit, peut-être une journée même. J'avais un lit maintenant, un vrai, mais à quoi bon ? Au moins il n'aura jamais eu à vivre dans un appartement. Au moins il aura toujours été libre, au moins il aura toujours été heureux. Mais c'est fini maintenant, il n'est plus rien ou peut-être qu'il est mais plus avec moi. J'écoutais le silence. Mais je n'étais plus jeune. J'étais un vieux maintenant, et les vieux comprennent pas le silence. Je respirais lentement, en regardant le vide comme ça. Il ne fallait pas que je reste là, tout seul. La solitude, elle gagne toujours merde. Toujours !
Je pris mon portable. Je regardais l'écran noir. J'avais hésité au moins cinq bonne minutes avant de le déverrouiller. J'aime pas trop les portables mais encore moins mon reflet. Je cherchais dans mes contacts. J'avais jamais appelé son numéro. Pas que j'y avais pas pensé. Au contraire, j'y avais pensé déjà plusieurs fois. Mais j'aurais jamais su quoi dire, j'aurais bégayé, j'aurais eu l'air con. Et j'en avais pas besoin. Mais là je vois qu'elle, que je peux appeler. Je cliquais sur le bouton vert de ma cabine téléphonique.
Le contact s’appelait Wendy. Puisque moi j'étais Peter. Je ne pense pas qu'elle m'enregistrera en tant que tel. Mais c'est comme ça que je me souviens d'elle, en tant que maladroite petite Wendy. A la première sonnerie, j’eus envie de raccrocher rapidement. Je me sentais honteux mais pas plus que mon mal-être intemporel finalement. J'attendais. J'aimais pas attendre au téléphone. Y'avait la pression qui montait et les pensées qui s'embrouillaient. Sûrement que le long « biiiiip » qui résonnait dans la tête, il était là pour lobotomiser les pensées intelligentes. Mais le cours de mes pensées ne fut pas interrompu.
Quelqu'un décrocha. Ça brouillait sur la ligne, j'entendais pas très bien. « Allô, Sunday ? » J'hésitais un temps. Je ne l'entendais toujours pas, il y avait des vieux sons tout pourris qui sortaient de l'appareil mais pas la voix de la petite nennette. « Euh.. C'est Raph... Je t'entends pas bien. Écoute, je voudrais te voir... Meursault est... » Les larmes dans mes yeux étouffèrent ma voix à coup d'eau salée. « Je voudrais te voir tu vois, je t'expliquerais mais c'est pas important. » Je disais ça parce que je n'aimais pas dramatiser. Mais c'était tout ce qu'il y avait de plus important, c'était crucial. Le chien, il est mort, il est mort, tu m'entends Sunday, tu m'entends même sans que je parle, que c'est important ? « On pourrait se voir ? Bientôt ? Maintenant ? » Je n'entendais rien. Je n'entendais rien mais sûrement que c'était les larmes et plus la connexion qui brouillaient aussi mon ouïe. « On se retrouverait pas quelque part, chez toi peut-être? » J'attendais le silence. Ma voix tremblait trop mais j'espérais qu'elle pense que c'était le téléphone, pas moi. Je me sentais si mal, si seul. Et pourquoi ce téléphone ne marchait pas putain ? Je savais même pas si elle m'entendait. Alors je raccrochais. J'essuyais furtivement mes larmes, celles qui s'échappaient et puis je fermais mes yeux. Quand je pleurais, mes yeux étaient encore plus bleus que d'habitude. Je n'aimais pas trop ça. Mais je m'en foutais aujourd'hui.
L'horloge de la cuisine me montrait l'heure. Il était 14 heure mais je n'avais pas faim. J'avais l'impression de me noyer, et ça m'étonnerait que les noyés aient envies de manger. J'attendais qu'elle me rappelle mais elle ne me rappelait pas. J'en étais malade. Je lui trouvais toutes les excuses du monde, pourtant je me disais qu'elle m'abandonnait. Au fond de moi, ça me faisait très mal. J'étais très sensible lorsque j'étais détruit. Et là je n'étais pas détruit, j'étais moitié moins. J'avais l'air con. J'avais l'air con d'être dans un état comme ça pour un seul clebs. Un seul et unique clebs. Mais c'était pas que sa mort. C'était tout le vide qui m'emplissait, et l'audace et la volonté qui m'abandonnait. Il était là depuis sept ans. Et maintenant que mon statut sociale évoluait enfin, maintenant que j'allais mieux, il osait me laisser ? Seul ? Je n'allais jamais m'en sortir seul. Je ne tiendrais jamais parce que c'est insoutenable ce silence. Ce manque d'affection, ce manque de présence. Il était ma conscience et peut-être que je le personnifiais sans arrêt, mais je ne devenais pas fou avec lui. Et j'avais encore besoin de lui. Encore au moins dix ans. Je l'aurais laissé mourir seulement quand on aura été des p'tit vieux, que j'aurais un porche et une belle femme. Tu vois Sault, je me dis, déjà je me remet à parler de femmes alors que toi tu savais très bien me dire, que c'était pas elles que je voulais. Sans toi je suis perdu, je me dis.
Il ne s'était pas passé une seconde sans que j'aille mettre mes rangers vide, que je prennes ma veste inutile et que je claques la porte en oubliant les clefs (je n'avais pas l'habitude). Elle me rappelait pas ? Peu importe, j'irais chez elle. Je me souvenais vaguement d'où c'était. Et j'avais besoin d'elle là, j'avais besoin d'elle parce que Sault m'aidait à la supporter. Maintenant qu'il avait disparu, il fallait bien qu'elle m'aide à le supporter lui. Lui et sa putain d'absence. Elle me devait bien ça. Et puis je l'aimais bien, au fond, cette nana. En plus si elle était chez elle, on pourra jouer et sûrement que ça me fera penser à autre chose.
J'avais oublié qu'il y avait 50 minutes de voiture de Staten Island au bronx. Mais j'avais un peu perdu la notion du temps. Une fois avoir payé le taxi, je cherchais des yeux la rue. Quand je la trouvais, je sonnais. Sans hésiter. Un peu en colère contre elle de ne pas m'avoir rappelé mais toujours à trouver des millions de raisons. J'étais haineux et coupable à la fois. Et vide. Je deviendrais schizophrène sans lui. Sans Meursault. Et je sentais mes pulsions revenir. Mes pulsions que je cachais dans sa fourrure, elles m'aggripaient le dos, je me sentais à nouveau violent. Et j'avais peur. J'avais terriblement peur de faire du mal à qui que ce soit. Encore. La dernière fois, ça s'est si mal terminé, oh si mal.
Je respirais lentement. Je ne pleurais toujours pas, je tenais le coup, je retenais mes larmes, mes cris, mes coups. J'attendais devant sa porte calmement, désemparé face au monde que j'affrontais tout seul maintenant. J'allais mieux sur le ring avec des griffes et des crocs.
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« Personne, personne n'avait le droit de pleurer sur elle. Et moi aussi, je me suis senti prêt à tout revivre. Comme si cette grande colère m'avait purgé du mal, vidé d'espoir, devant cette nuit chargée de signes et d'étoiles, je m'ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde. De l'éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j'ai senti que j'avais été heureux, et que je l'étais encore. » Meursault – L'Etranger, Camus.
Sunday Newton
Une manette dans la main Et PAF ça fait des chocapics
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Sujet: Re: Meursault | PV Sunday Dim 26 Jan - 16:34
Jake Bugg - Broken
Ca fait une semaine que mon téléphone merde. Mes copains me l'ont dit : "Sunny, tu fais chier, bouge-toi, fais quelque chose, c'est relou de pouvoir te joindre qu'une fois sur deux !". Je le sais que ça déconne, je reçois leurs SMS mais eux reçoivent pas toujours les miens. Et quand on m'appelle, des fois ça marche pas. Enfin, moi j'entends, mais eux m'entendent pas. Je le sais que je dois passer chez mon opérateur pour le faire réparer mais en ce moment c'est la folie au boulot, j'enchaîne les heures et j'ai le temps de rien. Quand je rentre chez moi, je prends une douche, je bouffe, je me pose un peu sur le PC ou devant la téloche... où je m'endors évidemment. Et après, quand mon réveil sonne, je retourne au boulot et ça recommence. Et j'ai l'impression de plus avoir de vie et d'être tout le temps coincée au taff. Enfin, heureusement, c'est juste un rush, c'est pas tout le temps comme ça. Mais du coup en ce moment, je suis crevée, alors j'ai la flemme de tout, y compris d'aller faire réparer mon téléphone... Pourtant j'aurai peut-être dû.
« Allô ? Allô ?! Putain ça marche pas encore, allô... ? »
Je peste. Évidemment que je peste, encore une fois ça déconne. Et ça m'énerve encore plus parce que je reconnais la voix à l'autre bout du fil. C'est celle de ce garçon. Celui sur lequel ma maladresse s'abat toujours, celui qui m'a sauvé la vie, lui et son chien, pendant le tremblement de terre, celui qui à qui j'ai filé mon numéro mais qui m'a encore jamais appelé. Et évidemment, maintenant qu'il le fait, mon téléphone merde et même si moi je l'entends, lui il m'entend pas. C'est ce qu'il me dit, et je sais pas pourquoi, mais ça m'énerve. Je voudrais pas qu'il croit que je me suis foutue de lui en lui donnant un numéro bidon. C'est pas le cas.
Bougonnant dans mes dents, je l'écoute. De toute façon je peux faire que ça, même si je lui répondais il l'entendrait pas... Je trouve sa voix un peu bizarre. Il a l'air un peu lointain, un peu absent. Et j'avoue que ça me surprend un peu qu'il veuille me voir. Je lui ai promis que je lui paierais un verre mais je peux aisément imaginer qu'il a pas envie de se retrouver avec moi et mes manies de catastrophe ambulante. Y a un truc pas normal, je le sens et dans sa voix et dans cette demande étrange et c'est seulement quand il parle de son chien que je finis par comprendre. Parce qu'il a pas l'air bien, et parce qu'il finit pas sa phrase. Meursault est... quoi ? J'en sais rien, mais je peux qu'imaginer le pire. Putain, il est arrivé un truc à son chien... Il a beau dire que c'est pas important, je le crois pas. Surtout pour que ça le pousse à vouloir me voir. Et puis les garçons, ça dit toujours que c'est pas important quand il arrive des méga catastrophes. S'ils s'entaillent le doigt ou qu'ils ont un rhume, c'est la fin du monde, mais s'ils sont vraiment mal, qu'ils se sont pétés un truc ou qu'ils ont perdu un truc, nan, c'est pas important... Je comprendrais jamais les mecs mais ça, je l'ai compris. Alors même sans qu'il le dise, je sais qu'il est arrivé un truc grave au joli husky.
C'est con, parce que je le connais pas vraiment ce chien, ni même son maître, Raph. Je les connais pas bien mais ça me fait chier. J'ai une boule dans le ventre et je me sens triste. C'est vraiment très con mais c'est comme ça. Et cette mélancolie acerbe un peu plus ma colère contre cette putain de technologie qui marche jamais quand il faut. Je voudrais lui répondre, lui dire qu'il peut passer, maintenant oui. Je voudrais faire des blagues pas drôles pour chasser les sanglots dans sa voix. Je voudrais être là pour lui parce que je sais qu'il va pas bien. Même si je le connais presque pas, je le sais, je l'entends. Je sais toujours pas pourquoi c'est moi qu'il appelle dans un moment comme ça mais j'ai pas envie de le décevoir. Vraiment, je voudrais être là pour lui et je râle encore plus quand il raccroche sans que j'ai pu lui dire qu'il pouvait venir ou qu'on peut se rejoindre ailleurs. J'essaye de lui envoyer un message, deux, mais comme j'ai pas de réponse, je suppose que ça marche toujours pas...
Pour éviter de claquer mon portable par terre, ce qui n'arrangerait absolument pas les choses et qui m'empêcherait peut-être même de faire marcher la garantie, je le pose sagement sur la table de salon avant d'avoir un geste irraisonnable. J'ai toujours cette boule dérangeante en moi et après quelques minutes à tourner en rond, je me dis que le seul truc que je peux faire, c'est aller le rejoindre. Je sais pas où il habite, je sais seulement où il travaille. Alors je vais tenter ma chance là-bas, au pire ils pourront peut-être me renseigner. Mais faut que je bouge, que je fasse quelque chose, je peux pas rester là à rien foutre en espérant que ça lui passera... C'est le début d'après-midi mais je viens de me lever. Je suis encore en pyj', je peux pas sortir comme ça. Je file à la douche, que je prends en quatrième vitesse, je finis de me préparer. Je suis sur le point d'enfiler mes pompes quand la sonnette raisonne dans l'appart. Ca me vient même pas à l'esprit que ça puisse être lui. Pour moi, c'est soit quelqu'un qui vient voir quelqu'un dans l'immeuble, soit un de mes potes. Mais c'est pas vraiment le moment... Un peu speed, j'ouvre une fenêtre qui donne sur la rue - et je fais tomber un bouquin au passage, heureusement que ça casse pas - pour voir qui c'est. Alors, je le vois. C'est lui qui a sonné, il est en bas de chez moi.
A toute vitesse, je referme la fenêtre, mets mes chaussures sans faire mes lacets et je descends quatre à quatre les deux étages. Je manque d'ailleurs de me casser la gueule sur mes lacets au passage mais j'ai pas le temps de m'attarder dessus. Je traverse vite le petit hall d'entrée et j'ouvre la porte tellement brusquement qu'elle m'atterrit sur la tronche. Un peu sonnée, je me passe une main sur le front mais je me fous complètement de la bosse qui sortira sûrement bientôt. Pour l'instant, tout ce qui m'intéresse, c'est ce type qui se tient sur le perron de ma porte. Et sans comprendre tout de suite, je me rends compte que je suis rassurée de le voir là. Je crois que si je tenais autant à le rejoindre, c'est parce que quelque part j'avais peur qu'il fasse une connerie. Y en a qui diront que ce serait con pour un chien mais moi je l'ai vu, c'était plus qu'un chien pour lui.
Il se passe deux secondes où le temps se suspend et pendant lesquelles on se regarde comme deux abrutis dans le blanc des yeux. Je sais pas quoi dire. Il a l'air complètement paumé et effondré, même s'il fait ce qu'il peut pour pas le montrer. Moi y a toujours cette boule qui me crispe et qui veut pas partir. Sans réfléchir, je crois que je finis par faire le seul truc censé qu'il est possible de faire... Je m'avance vers lui, sans me soucier du froid qui saisit mes bras dénudés, et je l'enlace. Et ça me paraît même pas bizarre. Je m'accroche à son cuir en le serrant fort contre moi et puis je finis par murmurer, un peu déboussolée moi aussi.
« Je suis désolée. Putain je suis tellement désolée... »
Et ça me semble être les phrases les plus connes et inutiles que j'ai jamais pu dire.