&
Début Décembre 2015, matin - Commissariat du Queens
Elle était épuisée, rincée, vidée de toute substance. Les nouveaux horaires qui avaient été attribués à chaque flic de la ville afin de pallier au manque d’effectifs et au besoin croissant de patrouilles dans les rues depuis l’instauration du couvre-feu par le Maire quelques semaines plus tôt avaient rapidement surchargé tout le monde de travail. Erika n’avait évidemment pas échappé à la règle et elle faisait de plus en plus souvent les frais de ses nuits blanches répétitives. La semaine précédente, en voulant rentrer chez elle, elle avait pris la direction de Manhattan et de l’appart de l’avocat dans les bras duquel elle s’était réveillée, complètement désorientée. Un moindre mal étant donné la récente évolution de leur relation mais l’évènement avait suffi à la rendre encore plus tendue qu’elle ne l’était déjà. La jeune femme n’était pas de ceux qui pouvaient se reconnaître physiquement incapable d’une tâche qu’on leur avait confiée. Sa ténacité et son entêtement prenaient constamment le pas sur sa fatigue et la poussaient à lutter, encore et encore. Elle n’aurait pas supporté être celle qui craquerait la première. D’ailleurs, elle ne supporterait pas de craquer tout court. Elle devait tenir, elle n’avait pas d’autre solution.
Arrivée au poste, Erika eut à peine le temps d’atteindre les escaliers, son casque de moto et ses gants encore sous le bras, qu’un autre policer, chargé lui de l’accueil du poste, la héla. Revenant sur ses pas, elle s’approcha du comptoir derrière lequel il se trouvait.
▬ Salut Erika, c’est toi qui prends Sacha aujourd’hui. Elle doit déjà t’attendre en haut je pense. »Les sourcils de la jeune femme se rehaussèrent.
▬ Sacha ? »▬ La stagiaire. »Ah oui. La stagiaire.
Hochant brièvement la tête, elle s’éloigna pour rejoindre l’étage où se trouvaient les bureaux de la Criminelle. Quelle idée de demander un stage dans un poste de police. Erika ne trouvait pas l’idée mauvaise dans le fond mais à l’âge que devait avoir Sacha, il y avait sans doute plus joyeux comme projet professionnel que de vouloir mettre de la vermine derrière les barreaux. Le besoin de justice, le désir d’aider son prochain étaient tout à fait louables mais il ne fallait pas se leurrer sur la difficulté que représentait le travail effectué ici. La gratitude ou la reconnaissance des sacrifices étaient très rarement au rendez-vous et il fallait aimer être payé une misère pour un travail qui pouvait bien souvent mettre la vie d’autrui et la sienne en danger. Erika avait du mal à se représenter les motivations de cette jeune stagiaire. Elles ne pouvaient qu’être naïves et idéalistes. Elle ne devait pas savoir à quoi réellement s’attendre. Sans doute imaginait-elle même des héros combattant le crime et l’injustice, crachant des phrases par trop connues du grand public, mettant derrière les barreaux de puissants barrons de la drogue, d’ignobles monstres violeurs d’enfants ou tout autre figure du mal qu’une adolescente pouvait se représenter à cet âge. Elle apprendrait bien vite - si ce n’était pas déjà fait d’ailleurs – que la réalité était bien plus cruelle et amère qu’elle ne pouvait l’être dans un livre ou un film policier. C’était un métier de chien.
Mais il fallait bien quelqu’un pour le faire.
Rendue à l’étage de la Crim’, Erika salua rapidement les collègues qu’elle croisa et déposa ses affaires à côté de son bureau. Elle jeta ensuite un œil autour d’elle et repéra la rouquine assise à côté d’un bureau encore vide de son propriétaire. Elle semblait attendre patiemment que quelqu’un accepte de la prendre en charge. Erika soupira brièvement et s’approcha d’elle. Elle n’était pas douée avec les ados, elle ne s’était jamais vraiment senti en être une quand elle en avait eu l’âge et comprendre comment pouvait fonctionner un être en pleine transformation la fatiguait d’avance. La seule référence qu’elle avait était en la personne de Sunday, qui n’était plus vraiment une ado. Erika décida donc de l’aborder comme n’importe quel adulte. Infantiliser n’était pas son fort.
▬ Sacha ? Tu es avec moi aujourd’hui apparemment. Je suis l’agent Stojanović. Tu peux m’appeler Erika. »Son portable sonna à ce moment-là, interrompant les présentations. Elle décrocha. Un homme retrouvé abattu en plein Central Park. Erika prit ses renseignements et raccrocha. Son regard se reporta sur la jeune fille. Elle évalua la situation un quart de seconde. Après tout, Sacha ne faisait sans doute pas son stage pour rester au poste toute la journée. Autant essayer de lui faire tirer parti des occasions qui se présentaient. Au pire, la gamine serait choquée. Ça n’empêcherait pas Erika de dormir.
▬ T’as déjà vu une scène de crime ? »