Sous son front plissé, ses yeux dansaient rageureusement, laissant s'échapper quelques glaciales lueurs sous cette lune jaillissante. Il soutint intensément le regard assurant et tempétueux de Luna, adolescente désireuse de se blottir dans les bras de son jeune frère (si tant est qu'elle puisse un jour avoir l'honneur de se présenter), puis croisa ses bras sur le rebord de la fenêtre, faisant mine d'admirer le ciel parsemé d'éclats dont il jugeait pourtant la beauté insignifiante. La tête penchée en avant, emmitoufflé dans une épaisse écharpe ébène, il restait immobile, analysant chacune des paroles de la jeune fille, cherchant alors une réplique qui s'appliquerait à lui nuire. Puis, ses yeux nacrés pétillèrent soudain, croisant une nouvelle fois ceux de sa compagnie d'un soir, fouillant sereinement ses pensées en captant les moindres détails de son attitude. Son apparence en cette soirée invulnérable le laissa d'abord perplexe. Ses intentions lui apparaissaient encore plus douteuses que les siennes, ne lui permettant pas de s'engager paisiblement dans ce manège méprisable auquel ils s'adonnaient tous deux, défiant inlassablement l'autre, persistant à ne surtout rien lâcher. Oh puis au Diable la retenue, cette aguicheuse n'avait qu'à se faire plus discrète sur ses désirs relationnels, surtout lorsqu'il s'agissait d'un certain Zaren. Il était sa propriété et n'entendait pas qu'il put en être autrement ! La discrétion était un art dont l'accessibilité était affaire de tous si tant est que l'on soit doté d'un minimum de jugeotte, ce qui lui avait sur le coup fait cruellement défaut. Lui faisant maintenant face, il déposa chacune de ses mains sur le rebord de l'ouverture, s'appuyant d'un air honteusement perfide. Un fin sourir condescendant s'empara alors de ses lèvres. Il croisa sa jambe droite sur sa gauche, tenant toujours le regard de la demoiselle en joue, prêt à faire feu à tout moment et, par surcroît, sans crier gare. Il se garda bien de la dénigrer pour se concentrer sur l'essentiel, les repoches auxquels elle s'affairait et les menaces qui s'en suivraient. Il fronça les sourcils puis s'appliqua à lui dévoiler d'une voix sensiblement consternée :

-Je te défends de l'approcher. Et crois moi, cette menace n'est pas à prendre à la légère...
-Qui est-tu pour te permettre de nous mener comme si nous n'étions que de vulgaires chiens en laisse ?
-Un homme prêt à tout pour préserver ce qu'il a en sa possession. Penche toi plutôt sur ce qu'il pourrait t'arriver si jamais tu décidais d'aller à l'encontre de mes...hum...précieux conseils.
-Tu es fou.
-Faux. Observe donc ce monde qui nous guette, je serais fou de ne pas l'être.
-Je ne laisserais pas un malade d'à peine dix sept ans me traçer ma ligne de conduite. S'il me prenait l'envie d'aller me présenter, je n'y réfléchirais pas à deux fois. Puis rien ne m'oblige à continuer d'écouter tes pseudos menaces d'ado dérangé, va donc consulter !

La demoiselle lui jeta alors un regard glacé qui lui semblait n'avoir jamais vu auparavant, se maintenant avec fureur devant l'homme qui s'était entre temps rapprocher d'elle. Il se mordit la lèvre pour se contraindre à maîtriser cette colère qui s'éprenait de lui, lui brûlant les sens sans retenue, embrumant son esprit d'ordinaire si docile. Il avait toujours forcé le respect et n'appréciait donc guère cet élan de supériorité dont faisait preuve cette rebelle contrariée, lui insufflant la prétention de se faire dominante, prétention qu'il lui rendrait bien sûr incaccessible.

-Tu aimes jouer avec le feu ? lui demanda-il tout en lui tordant le bras, artifice lui communiquant son opressante suprématie. Nous verrons donc si tu parviendras à l'étouffer bien que je sois prêt à parier mon âme qu'il terminera par te consumer toute entière.
-Tu n'as pas d'âme, les enfants de Lucifer en ont toujours été dépourvus. répliqua t-elle avec ardeur, ombrageant au mieux cette crainte qui s'emparait de ses traits peu à peu.
-Alors je n'ai rien à y perdre.

L'homme se détourna de la jeune femme, reprenant sa position en bordure de fenêtre. Son regard d'un azur glacé balaya l'étendue stellaire d'un air détaché avec indolence, prenant plaisir à faire perdurer la scène et lui indiquant tout en même temps son insignifiance, le danger futile qu'elle semblait symboliser. Dos à la sorcière, il ajouta d'une sérénité incongrue :

-Et il serait préférable que cette discussion n'atteigne les oreilles de personne, les rumeurs se répandent vite et j'ai tendance à les trouver fortement désagréables. Il serait fâcheux que Zaren soit au courant de quoi que ce soit.

Présomptieux, Eythan s'attacha à quitter les lieux d'une démarche triomphante_ une démarche semblable à celle d'un souverrain vainqueur de sa dernière bataille en date_lorsqu'il se retourna gaillardement :

-Je te fais confiance.

Prisonier d'un dernier élan de vice, le sorcier parvint avec assurance au devant de sa nouvelle distraction, fermement décidé à creuser sa colère dans ses profondeurs les plus hystériques, calculant précautioneusement ses émotions. Il se plaisait à assurer que le destin de cette révoltée était désormais entre ses doigts parés à appuyer sur le bouton qui l'éjecterait de la scène au moindre faux pas; elle devait s'en convaincre au point d'écarter cette insoumission dont elle faisait preuve. Il n'y avait point de place pour les doutes. Avec une délicatesse étudiée, il lui saisit le menton, le piégeant de part et d'autre à l'aide de son pouce et de son index puis lui déroba un tendre baiser. Il ressentit alors les lèvres torturées de Luna éprise d'une explosion cuisante d'un millions d'étincelles frénétiques, avides de lui infliger quelques vilaines brûlures, une douleur vive et interminable. Chacun de ses traits trahissaient sa détresse et son dégoût, ce qui n'eut pour effet que de rendre l'homme encore plus confiant qu'il ne l'avait jamais cru être.

-Oui. C'est une demoiselle qui m'a l'air bien docile. Je veillerais sur toi avec la plus grande des attentions...

OK par Axel