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AUTUMN & ERIKA

Elle a fait profil bas, elle a fait au mieux pour demeurer dans l’ombre, pour remonter la pente, tenter de guérir sa névrose. Ce qu’elle semble est parvenue à faire, ce qu’elle semble avoir réussi à laisser de côté. Pour son plus grand bien, et celui de sa colocataire qu’elle voit désormais bien plus souvent. Parce qu’elle n’a plus de rendez-vous avec des médecins, parce qu’elle n’a plus de rendez-vous avec de quelconques psychiatres. Non, Autumn se voit à nouveau libre. Fragile, mais désormais délivrée de cet Enfer médical. Et elle prend sur elle, elle fait au mieux pour ne pas à nouveau sombrer, pour avancer sans se retourner. La petite rousse ne détourne plus le regard dans la rue, elle ose affronter chacune des ruelles qu’elle connait en évitant de se dire qu’elle pourrait les voir là. Mais les ombres appellent, la tentation reste de mise. Johnson ne sera jamais vraiment guérie. Elle le sait au fond d’elle, elle n’a jamais écartée cette vérité de sa conscience parce qu’elle se doit de ne pas l’oublier, elle se doit de faire avec afin que rien de tout ceci n’arrive une fois encore. La jeune femme est déterminée à se battre, à continuer de remonter la pente qu’elle a dévalée malgré elle quelques mois plus tôt ; perdant tout un avenir, perdant tout un futur en lequel elle avait pu placer tous ses espoirs. Avant qu’il ne disparaisse aussi, avant qu’elle ne parvienne plus à se souvenir du sourire qu’il aurait pu poser sur elle si les choses étaient toujours telles qu’elles avaient pu être. Alexandro lui manque, Dobra s’efface peu à peu de son esprit et Autumn continue son chemin ; plus ou moins seule. New-York n’est plus qu’un vaste théâtre à ses yeux, scène emplie de spectres, de souvenirs joués par ses légères hallucinations. Non, elle n’est pas folle. Elle ne veut simplement pas perdre ce qu’ils lui ont apporté. Elle ne veut pas que la justice qu’elle porte à leur égard ne s’estompe aussi simplement que sa voix à elle s’est éteinte en perdant tout espoir, toute croyance en ce qu’ils avaient animés chez elle.

Et on lui permet de revenir sur tout cela alors qu’elle dépérit, silencieusement, dans la chambre qu’elle avait pu quitter durant de longues semaines. C’est une nouvelle bouffée d’air, une libération digne de ce nom que de revenir à son quotidien ; même si elle aurait aimé que son téléphone ne sonne pas aussi tôt. Ca ne l’empêche pas de faire avec, parce qu’elle a besoin d’entendre la voix d’autrui, parce qu’elle n’aspire plus qu’à cela depuis son retour en ville, depuis sa sortie de psychiatrie. Ce qu’elle gardera bien de révéler à qui que ce soit, ce qu’elle gardera enfouie au plus profond de sa personne afin qu’on ne sache pas, afin que rien de tout ceci ne remonte à la surface de sa misérable existence. Autumn fera le nécessaire pour cela, même si elle se retrouvera finalement devant une femme qu’elle avait sollicitée avant que tout cela ne lui arrive, avant qu’elle ne sombre dans des ténèbres qu’elle n’avait voulu quitter par la suite. Ca ne l’a pas empêchée d’accepter, ça ne l’a pas empêchée de dire qu’elle sera là, qu’elle la rejoindrait à l’endroit qu’elle lui a proposé malgré ce qu’elle avait pu lire dans la presse ; malgré toutes les histoires qu’on entend sur Central Park désormais sans pour autant qu’elle prenne le risque de s’y attarder. La rouquine fera un effort, ce qu’elle fait déjà le jour même se préparant au mieux pour rester dans les normes. Hors de question d’afficher cet air triste et désolé à la jeune femme qu’elle va pour rejoindre, hors de question de trahir le vide qui s’est installé en elle suite à ses nombreux mois de silence quant à ce qu’elle avait pu lui demander. Non, Autumn doit rester forte, elle doit faire preuve de courage et c’est ce qu’elle se répète, ce qu’elle ne cesse pas de faire résonner dans sa boite crânienne alors qu’elle n’a pas encore quitté la salle de bain, alors qu’elle demeure là, devant son miroir à essayer de se convaincre quant à son apparence qu’elle essaie de soigner, de rendre un peu plus présentable. Elle met du cœur à l’ouvrage et c’est à peu près satisfaite qu’elle parvient à quitter l’appartement, laissant une petite note à sa colocataire afin qu’elle ne s’inquiète pas ; comme à chaque fois.

Le vent hivernal vient frapper son visage après quelques jours à s’être enfermée chez elle. Autumn parvient tout de même à ravaler son angoisse, à lever la tête comme pour se convaincre qu’elle en est capable. Ce qu’elle parvient à faire, doucement, mais surement alors qu’elle s’engage dans la rue qui longe le bâtiment qu’elle vient de quitter. Ses perles bleues guettent les alentours, ne s’attardant pas sur les ombres qu’elle croit connaitre comme étant deux hommes ayant partagés certaines périodes de sa vie. Non, elle en fait abstraction, se jure de parvenir à tourner la page quant à tout cela. Et c’est déterminée qu’elle réussit à trouver un taxi, indiquant Central Park au chauffeur dans un sourire qui se veut hésitant mais confiant, surtout confiant. On lui rend le plus naturellement du monde, ce qui a pour don de l’apaiser plus qu’elle ne l’aurait pensé. Parce qu’elle revient lentement à un quotidien qui, avouons-le, lui avait manqué. Aussi, elle réfléchit à tout cela avant qu’elle ne constate qu’elle était déjà arrivée, c’est un nouveau sourire qu’elle offre au vieillard en plus du règlement de sa course et d’un pourboire qu’elle ne compte même pas, légèrement stressée à l’idée d’être dans ce coin ci de la ville, d’avantage quant aux raisons qui la pousse à s’y rendre. Non, elle ne peut pas faire demi-tour, pas maintenant, pas après avoir réussi à franchir le pas. Elle doit se résoudre à parler, à faire comme si tout allait pour le mieux. Parce que c’était le cas, parce qu’on l’avait laissée partir en pensant qu’elle survivrait, qu’elle s’en sortirait seule désormais. Il faut qu’elle prouve qu’ils avaient eu raison. Autumn se le dit, se le répète alors que ses pas la mène jusqu’aux frontières de cet immense poumon vert. Elle hésite mais ose. Elle osera toujours, c’est d’ailleurs ce qui l’aura mené jusqu’au plus profond des abysses de ses ténèbres. Aussi, ses perles bleues pâles, fatiguées, plutôt bien maquillées cherchent la brunette qu’elle doit rencontrer, essayant de la repérer au plus vite afin de ne pas demeurer seule en ces lieux, pas après avoir lu tous les articles concernant les pendus retrouvés. La cascade rousse qu’elle aborde danse et flambait dans son dos ; et si elle ne parvient pas à trouver son rendez-vous, Erika n’aura aucun mal à l’apercevoir. Mais elle y parvient, adoptant son habituel sourire, cet élan de tendresse qui la caractérise malgré ses traits trahissant plus d’un malheur autour de sa personne. Elle se fait convaincante, c’est tout ce qu’elle avait souhaité avant de quitter son cocon. « Eh bien, je n’imaginais pas vous trouver aussi facilement. Vous allez bien ? » Demande-t-elle, enjouée, se présentant à elle le plus naturellement possible.

AUTUMN & ERIKA

Il est grand temps de mentir, de jouer la carte de la jeune femme parvenue à prendre sur elle, à avancer. Autumn n’avancera probablement jamais, ou pas de suite. Elle n’en a pas vraiment envie. En vérité, si, elle le désire mais ne sait plus comment y arriver, comment se sortir de ce cercle infernal qui n’en finit pas de l’enfoncer – encore et encore – dans les abysses qu’elle ne fait que creuser depuis quelques années désormais. Elle n’en peut plus mais doit rester forte, elle le doit désormais et seule. Stacey n’a plus à supporter ses crises, ses erreurs, elle n’a plus à payer le prix de sa témérité. Et personne d’autre n’est là pour la soutenir, il n’y a qu’elle ; cette même femme que la rousse désire ne plus mêler à ses états d’âmes plus dépressifs qu’elle ne le voudrait réellement. Mais elle est d’une nature bien noire, la jeune femme s’est persuadée qu’elle ne parviendrait à rien puisqu’elle se voit retirer tout ce qui commence à avoir une place en son cœur. Et les hommes qu’elle avait pu aimer depuis qu’elle en avait compris le sens du mot n’était qu’une preuve parmi tant d’autres maux pesant sur ses épaules. Autumn n’est plus grand-chose, rien de plus qu’une carcasse vide et froide, immuable dont le masque fait croire à des traits aussi joyeux que le sourire qu’elle veut donner à la brune qu’elle vient de rejoindre. La rouquine reprend son rôle. Il est temps d’offrir un peu de paix au monde qui l’entoure, il est temps de prôner l’utilité du centre dans lequel on avait pu la laisser quelques temps. Et si les espoirs de l’étudiante ne s’étaient pas brisés depuis bien longtemps, elle aurait pu croire en tout ce qu’ils avaient pu lui dire, en toutes ces phrases qu’on avait voulu graver en son esprit comme pour la sauver de ses ténèbres. Mais elles sont ce qui lui rappellent qu’ils ont été là, elles sont la preuve même que le cœur d’Autumn a été malmené après avoir aimé ; elles sont une infirme partie de sa vie mais elle y tient, bien assez pour refuser de tirer un trait dessus. Autumn ne fermera jamais les yeux sur les sentiments qui l’avaient fait se sentir vivante quand elle en avait l’occasion ; ce qu’elle ne veut plus revivre. Plus maintenant. Pas encore après tout cela.

Et, Erika – instinctivement et involontairement de par sa profession – lui rappelle que son père, que son fiancé avaient été tués, que le premier homme dont elle avait pu s’éprendre en arpentant les rues de la Grosse Pomme durant ses premiers mois suivant son arrivée n’était plus. Il s’en était allé, aussi simplement que le vent ne vient balayer la cascade de feu tombant dans son dos. Ça lui arrache un haut le cœur, quelque chose de dur mais de nécessaire pour la jeune femme qui imprime cette douleur dans sa mémoire ; ce souvenir flou qu’elle garde de la beauté qu’il avait pu être à ses yeux, avant qu’un autre ne le remplace et file à son tour. Mais, aujourd’hui, Autumn se doit d’être forte, de parvenir à tout enfouir à nouveau en son for intérieur. Parce qu’elle n’est pas venue pour se plaindre de ses maux, de ce qu’elle a perdue ; elle est venue parce qu’on lui a demandé de revenir, parce qu’on lui a dit de braver la foule newyorkaise et ces grands espaces qu’elle n’avait plus pour habitude de côtoyer. La rouquine doit retourner à la réalité des choses, elle doit franchir la porte du monde qu’elle avait pu laisser derrière elle durant un petit moment. « Je vais autant que faire se peut dans une ville où les gens sont pendus aux arbres des parcs. » Elle affiche une triste moue, aurait préféré ne pas se voir rappeler que les arbres autour d’elle avaient soutenus le corps de personnes violemment tuées. Mais Erika ne lui laisse pas l’opportunité de se perdre à nouveau dans ses songes, sa voix s’imposant une fois encore au silence que la jeune femme pouvait aisément laisser s’installer au cours de ses conversations. « C’est gentil d’être venue. Je ne pensais pas que vous accepteriez. » Elle hausse les épaules, ne sait pas vraiment ce qu’elle devrait répondre à cela, pas certaine qu’elle ne le puisse réellement de toute manière ; parce qu’elle aurait pu refuser, c’était vrai, elle aurait pu pourrir encore quelques jours cachée sous ses draps avant que le devoir ne la rappelle à l’ordre des choses. C’est le dossier qu’elle sort sous les yeux clairs de la jeune femme qui lui fait confirmer cette dernière idée, pas très sûre d’être en mesure d’encaisser un nouveau plongeon dans sa noirceur. Parce qu’il n’y avait rien de nouveau à en juger l’épaisseur du dossier ; son père et Ryan ne verront jamais aucune autre raison à leur décès que la simple mention ‘accident’.

Finalement, la Belle baisse le regard, affichant un petit sourire triste en devinant déjà les mots qu’elle s’apprête à énoncer. Ça n’a jamais été un secret pour elle, ça ne le sera à l’avenir parce que les années ont passées, parce que le temps ne s’est jamais arrêté pour lui offrir l’opportunité de voir la vérité des faits. Autumn a depuis bien longtemps abandonné, elle ne s’attend plus à rien désormais, conscience que le monde peut se nourrir d’injustice et qu’elle ne peut qu’en payer les frais ; bien malgré elle cependant. « J’ai pris ceci avec moi. Je ne savais pas ce que vous souhaitiez en faire. L’enquête n’a pas beaucoup plus avancé depuis notre dernier échange. J’ai malheureusement eu peu de temps pour travailler dessus pendant plusieurs mois et je ne me suis replongée dedans qu’il y a quelques jours. » Elle acquiesce faiblement, ne posant pas encore ses prunelles claires sur elle comme essayant de fuir la réalité des mots qu’elle vient de prononcer, ceux qu’Autumn vient d’entendre et qui l’attriste davantage même si elle savait pertinemment à quoi s’attendre. Néanmoins, l’être humain sera toujours conditionné à espérer le mieux qui puisse être possible, la rouquine y compris ; en cela réside le pourquoi de sa déception tout de même présente. Peut-être est-il temps, également, de tirer un trait sur cette histoire, d’admettre que rien n’évoluera vers quelque chose de mieux pour le moral de la rouquine. Elle en soupire, ne sait pas vraiment ce qu’elle doit ajouter aux derniers mots de la brune, interprétant déjà ses phrases comme étant un abandon ; ce qu’elle comprendrait, ce qu’elle accepterait parce qu’elle parvient enfin à se dire que tout ne peut être résolu, pas même cette histoire-ci. Et la jeune femme en vient à – enfin – croiser le regard d’Erika qui, de nouveau, s’apprête à parler, la rouquine ramenant ses bras sur sa poitrine comme pour essayer de se protéger du froid qui la gagne chaque seconde un peu plus ; la fatigue y étant pour beaucoup. « Je dois vous demander. Est-ce que vous souhaitez qu’on poursuive l’enquête ? Vous connaissez sa progression, vous savez que je ne lâcherai rien malgré cela et qu’il en faut plus pour me dissuader mais... c’est à vous de décider. Vous avez été silencieuse pendant plusieurs mois et j’ai besoin de savoir que je ne travaille pas à nouveau dessus alors que vous ne souhaitez plus de réponses. » Et la question tombe, claire, nette, précise, aussi directe qu’elle n’aurait pu l’être dans d’autres circonstances. Autumn se voit hésiter, répétant plusieurs fois la question dans sa tête, essayant d’y trouver une réponse qu’elle ne regretterait pas par la même occasion.

Elle hésite un long instant, sent déjà ses mains trembler tout contre elle. Elle n’est plus habituée à ce genre de situations, elle n’est plus habituée à devoir prendre des choix sur lesquels elle ne pourra pas revenir une prochaine fois ; pas en sachant qu’Erika y aura déjà passé du temps avant qu’elle ne décide de tout laisser tomber. Et elle craint de faire une erreur, elle sent l’angoisse monter jusqu’au travers de sa gorge, jusqu’aux portes de sa raison. Elle en regretterait presque ses états-seconds, cet infernal silence qui avait pu prendre sa chambre chez Stacey durant des jours et des jours ayant suivi son retour dans l’appartement. Elle le retrouve ici alors qu’elle parvient à se défaire du regard de la brunette, du dossier qui se trouve encore entre ses mains et qu’elle ne veut pas voir le temps de prendre une décision. Mais elle panique encore, sent sa respiration se faire un peu plus irrégulière qu’elle ne le devrait, obligeant la rousse à venir s’asseoir sur le banc, tentant – tant bien que mal – de reprendre ses esprits, de tout remettre en ordre dans sa boite crânienne. « Désolée, c’est juste… ça m’arrive souvent. » Dit-elle comme pour s’excuser de sa fragilité plus amplifiée qu’auparavant. Son petit voyage dans ce centre ne l’avait pas tellement aidé au final, car si elle avait tendance à se flageller l’esprit avant d’y entrer, elle n’avait pas pour autant si peu confiance en elle ; pas à ce point. Parce qu’ici, elle doute de tout et avant tout de sa propre personne, peu sûre des moindres gestes qu’elle décidera d’entreprendre désormais. « Je serais venue vous trouver un peu plus tôt si j’en avais eu l’occasion. Disons que tout n’a pas forcément été facile, ces derniers temps… » Souffle-t-elle, parvenant doucement à redonner des couleurs à ses joues. Autumn doit apprendre à bien prendre sur elle, à contenir tout ce qui l’anime ; que ce soit bien ou non, que ça vienne contredire tous les conseils donnés durant ses rendez-vous ou non. Elle n’a que faire de ce qui se passe aux alentours, n’a que faire de ce qu’on lui conseille parce qu’elle estime être la seule qui puisse s’aider, parce qu’elle juge qu’elle ne pourra s’en sortir que par elle-même ; bien que cela lui semble encore impossible. Elle ne veut pas d’aide, n’en a jamais vraiment voulu de toute manière. « Je n’ai pas eu le choix. Et si je l’avais eu, je pense que ça aurait été plus simple, croyez-moi. » Elle rigole nerveusement, cache son visage entre ses mains comme si ce simple geste pourrait retirer tout ce qui l’empêche de répondre directement à la question que venait de lui poser la jeune femme. Mais elle a tort de faire trainer les choses, elle commet une erreur de plus ; une parmi tant d’autres déjà faites et à venir. « Si… Si l’on continue, vous auriez plus de chance ? » Demande-t-elle enfin, se redressant un peu, posant son regard sur Erika, attendant une réponse des plus sincères qui soient ; parce qu’elle n’a plus envie d’espérer pour finalement en pâtir. Autumn a déjà bien assez souffert de cette histoire pour continuer sur cette voie ; ce que l’azur de ses prunelles trahi bien trop facilement.