▬ Une chanson pour commencer cette présentation ? ;

▬ Histoire ;

✯✯✯ Le printemps venait juste d’éclore, les beaux jours revenaient après la grisaille rude des mois d’hiver ; tu te souviens encore des arbres en fleurs dans le parc de la résidence où vous habitiez tous les quatre. Ce n’était pas une existence fastueuse ou qu’on aurait pu vous envier, mais elle était simple et vous formiez une famille unie. Il ne se passait pas grand-chose, la routine quotidienne se répétait, jours après jours, et personne n’y trouvait à redire. Tous les matins se ressemblaient ; tu prenais le bus mis en service par la municipalité pour te rendre à l’école du quartier. Tu te souviens de t’être lié d’amitié avec cette fille dont les parents habitaient sur le même palier que vous. Mevlana. Son prénom te revient sans que tu l’aies cherché ; elle avait les cheveux d’une teinte chocolat, ses yeux véronèse pétillaient de malice et s’allumaient de cette drôle de lueur espiègle lorsqu’elle se moquait de toi sur le trajet du retour.Elle avait ce petit accent qui te faisait sourire, et lorsque tu as demandé à tes parents d’où il venait, ils t’ont répondu quelque chose qui t’as troublé sans que tu saches vraiment pourquoi. Et puis tu as oublié cette explication, de toute façon, ce n’était que ton amie Mevlana, il n’y avait rien d’autre à ajouter. Et puis un jour elle n’est plus venue, tu l’as attendue un matin comme tu avais l’habitude de le faire, mais elle n’est pas venue prendre le bus avec toi. Tu es arrivé en retard ce matin là, et tu t’es fait la promesse de découvrir le fin mot de l’histoire. Tu ne l’as compris que bien après, lorsque tu as grandi et que tu as commencé à voir les choses sous un autre jour. Le soir, en rentrant chez toi, tu es allé frapper chez les voisins, mais personne ne t’a ouvert la porte. Têtu comme tu étais, tu as recommencé le lendemain, et le surlendemain, mais c’était toujours la même chose. Un matin, tu as entendu des cris dans le hall du bâtiment, ta mère t’a dit que les choses allaient sans doute changer, elle t’a rassuré mais tu as bien vu, du haut de tes six ans, qu’elle n’y croyait pas vraiment. Tu as même cru voir des larmes dans ses yeux, des larmes qu’elle s’efforçait de ne pas te laisser voir. Tu as vu les sourires s’effacer des visages qui t’étaient familier, l’inquiétude remplaçait petit à petit les rires et les chansons de ton quotidien. Tu voyais bien que quelque chose était en train de se tramer, bien sûr, tu ne savais pas ce que c’était, mais tu comprenais que c’était grave. Tu as vu les visages tordus de douleur, la précipitation était devenue la clé de la survie et il n’y avait plus ni rires ni chansons, comme si pendant un temps, le soleil était sorti de vos vies. Les rues se sont faites silencieuses, personne ne parlait, les bars se sont vidés, les immeubles aussi. De temps à autres, sans que vous puissiez jamais savoir à l’avance, des camions d’un vert caca d’oie, surgissaient de nulle part dans les coures intérieures, les crissement des pneus sous les coups de freins brutaux, ces cris d’hommes, ces pleurs de femmes, ces suppliques te parviennent encore parfois, durant les longs jours brumeux de novembre.

✯✯✯ Elle n’avait rien d’une princesse, ça tombait plutôt bien parce que tu étais assez loin d’être un prince. Tu l’as rencontrée, elle étudiait ici, dans cette capitale qui renaissait à peine de ses cendres, dans ce pays qui n’était pas le sien mais que pourtant elle aimait et comprenait. Tu t’es toujours demandé quel était l’élan qui l’a amenée jusque dans cette Sarajevo fantôme. Elle, sa blondeur, sa bonne humeur et son espièglerie. La plupart des autres étudiants ne la voyaient que comme une américaine, mais toi, tu as vu plus que ça, tu as vu cette flamme dans son regard, tu y as lu une chose sur laquelle tu n’avais jamais réellement mis de mots et qui t’avais saisi, foudroyé. Un soir, alors que tous les étudiants avaient quitté les bâtiments du campus pour aller faire la fête en ville, tu l’as vue, aperçue de loin. Tu sortais de ton dortoir pour rejoindre quelques amis, et tu t’es arrêté ; tu l’as regardée, tu t’es régalé de sa fraîcheur, de sa fragilité. Elle dansait, elle ne te voyait pas, plongée dans cet univers qui n’appartenait qu’à elle. Ses mouvements s’enchaînaient, gracieux, légers, comme ceux d’une feuille dans le vent d’automne. Tu es entré dans la salle et tu l’as rejointe, vous vous êtes laissés emportés à deux, bercés par la musique. Tu n’avais pas la moindre idée de ce que tu faisais, tu suivais ses mouvements et tout tombait comme une évidence. La connexion entre vous s’est confirmée à ce moment là, simple, naturelle. Tu savais qu’elle n’était là que pour un an, mais peu importait, tu voulais tout faire pour que cette année soit mémorable, de toute façon, tu avais appris très tôt que rien n’est jamais éternel…Elle est sortie de ta vie de la même façon qu’elle y était entrée, sans prévenir. Presque. Cette année a filé, plus vite que les autres, traîtresse, ne  te laissant que ce drôle d’arrière goût aigre-doux ; tu te souviens des moments passés, de l’alchimie qu’il y avait entre vous, de ces petites choses qui font le bonheur et qui, s’ils restent gravés et te font sourire maintenant, ne se reproduiront plus. elle portait cette passion en elle, ça n’a fait qu’exacerber la tienne et tu as décidé de ne pas continuer l’économie, parce que les chiffres et toi n’avez jamais fait bon ménage, parce que tu avais compris par cette rencontre, que c’était ça qui te faisait vraiment vibrer. La danse t’as rapproché d’elle, après son départ et d’une certaine façon, elle t’a montré la voie à suivre, alors tu te dis qu’au moins, elle ne partira jamais complètement.

✯✯✯ Les néons propagent une lumière affolée, le brouhaha autour de toi t’empêche de penser, de toute façon ton cerveau est déjà bien trop anesthésié pour te transmettre toute idée cohérente. Les platines du DJ crachent des décibels à assourdir les morts, et tu titubes vers la sortie, une bouteille planquée dans ta veste. Tu as décidé de terminer la soirée ailleurs, tranquillement. L’air frais de fouette le visage, t’assome presque, tu restes quelques instants fixe, immobile, cherchant la verticale. L’équilibre te semble désormais quelque chose d’aussi atteignable qu’une planète lointaine, tu rirais presque. Tu fais quelques pas, que tu ponctues d’une gorgée de Jack, et tu regardes les lumières de la ville, d’un air un peu absent. Certains jours, il t’arrive de te demander ce que tu fais encore là, dans ce pays qui ne veut plus de toi. Au coin de la rue, deux personnes se disputent, tu le sens au ton de leurs voix. Tu ne réfléchis pas, tu n’aurais jamais fait ça si tu avais été en pleine possession de tes facultés mentales, mais pour le moment ce n’est pas le cas, , alors tu te mets à chanter, sans doute un peu faux, dans ta langue maternelle. Više sreće drugi put, kažeš mi to tako lako. Vidim da nam ne idea još kako moglo je. Mais tu as oublié les paroles, elles ont surgi de nulle part, d’un coin de ta mémoire. Ta voix est erraillée par l’alcool, au moins tu ne sens pas la caresse sournoise du petit vent frais qui s’est levé. Par chance, les deux individus ont remarqué que tu étais passablement éméché et ne t’ont pas prêté attention, qui sait comment ça aurait pu se terminer autrement. Les voix se font plus lointaines, tu ne sais pas trop s’ils sont partis ou bien si c’est toi qui commences à sombrer. Les sentiers de ta bourgade se dessinent dans ton esprit, comme si tu les arpentais encore, tu revois ce préau sous lequel vous vous réunissiez après les cours, non loin du marchand de journaux qui vendait aussi des cigarettes et des billets de lotterie. Tu ne sais pas comment, mais tu as retrouvé le porche de cet immeuble apparemment désert, tu grimpes par les escaliers de secours jusqu’au dernier étage et tu t’assieds sur le rebord de la fenêtre, face à la rue, déserte elle aussi. Ta bouteille toujours dans la main, tu portes le goulot à tes lèvres. De nombreuses fois tu as failli tomber, à force de jouer avec l’équilibre précaire que tu avais ces soirs de beuverie, plusieurs fois tu t’es dis que tout serait tellement plus facile si tu te laissais chuter, mais la pensée de ceux que tu as laissés derrière toi t’empêches de commettre cette folie. Les visages de ta mère et ta sœur se dessinent dans ton esprit, elles te préservent mais t’accablent également, tu n’oses plus penser à elles en étant sobre, tu donnes peu de nouvelles, chaque fois que tu leurs écris, c’est pour débiter les mêmes banalités, parce que tu voudrais qu’elles croient aux mensonges que tu leurs fais.