A ce moment précis de l’histoire, Ian sentait une certaine angoisse l’envahir peu à peu, s’insinuant vicieusement dans son esprit habituellement monopolisé par les femmes, le sexe, la drogue et l’argent. Et même, il avait carrément honte de l’admettre, même qu’il commençait à flipper légèrement, le garçon. Pourtant, Ian était loin d’être un type impressionnable. Il en avait vu des trucs horribles dans sa vie, des gens qui overdosaient sous ses yeux, et une fois, cet imbécile gorgé de coke qui s’était défenestré, croyant qu’il était poursuivi par le fantôme de son dealer en demande d’argent depuis les marmites de l’Enfer (croyez moi, ça n’avait été agréable ni à voir, ni à nettoyer). Et tout ça l’avait toujours laissé plus ou moins de marbre, ou peut être parfois très légèrement mal à l’aise. Mais vraiment, alors qu’il attendait sa belle cousine (qui n’en était pas moins psychopathe pour autant, la preuve en images) adossé contre ce mur de briques froides, Ian se laissait contaminer par cette foutue peur sans rien pouvoir y faire. Il y a deux sortes de peurs : la vraie, celle qui vous prend aux tripes, qui vous flanque des sueurs froides et provoque des tremblements nerveux. Et puis la peur à deux balles. Il y a bien longtemps, Mr Davies avait expliqué à son fils comment les différencier : « si à un moment quelconque il te vient comme une envie de hurler ‘WOUUHOUUU!’… eh bien c’est du chiqué ».

Voyez vous, là-tout de suite, Ian n’avait pas la moindre petite envie d’agiter les bras au dessus de sa tête en hurlant comme s’il testait un nouveau style de montagnes russes. Oh, mais attention ! Je vous vois venir, vous… Là, vous vous imaginez que c’est le flic en civil qui stresse Mr Davies. Naifs que vous êtes… Permettez que ce point soit éclairci : Ian ne craignait pas le moins du monde le type en lui-même. S'il le coffrait, son père avait suffisament d'argent et de connaissances pour le faire sortir du trou en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Et puis après tout, il était accompagné par Nephania qui, n’oublions pas, était:
a) sa cousine incestueuse
b) tueuse à gages
c) accessoirement cannibale
et d) sûrement armée.
D’ailleurs, pour sa part, Ian sentait dans la poche intérieure de sa veste le contact rassurant de son Uzi Eagle, dont il effleura machinalement la crosse, histoire de vérifier qu’il était toujours à sa place. Impec'. Sa mère le lui avait offert quand il avait quatorze ans, sur ces paroles pleines de bon sens : "J'en ai toujours un sur moi. Il me protège de l'éventualité où ton père me surprendrait avec Paolo ou Richard... et il excite mes amants". Donc, vous voyez bien que ce n'était pas ce gendarme minable qui allait le faire flipper: les deux cousins avaient de quoi le buter trois ou quatre fois, et si ça leur chantait, ils pouvaient même le faire cuire après. Non, véritablement le problème était ailleurs. Ce qui effrayait Ian, c'était les conséquences. Que la flicaille leur mette la main dessus ou non, le discrédit serait jeté sur la famille. Des enquêtes seraient mises en place. On se rendrait compte que la fortune des Davies était fondamentalement batie sur une base de meurtres, traffics, fraude, détournement de fonds et autres trucs sympathiques dans ce genre là qui font toujours plaisir à la police quand elle en débusque quelque part. Les journaux en feraient tout un plat. On imputerait à Nephania quelques crimes correspondant à ses caractéristiques d'assassinat. Et alors... Ce serait la merde, pour parler franchement. Il serait fini, foutu. Alors il fallait trouver un moyen de s'en sortir, efficacement, discrètement et surtout définitivement.

"Faut pas paniquer, mon bel étalon!"
Ha, ben voilà qu'elle se ramenait enfin, Mlle Je-Me-Prends-Pour-Hannibal-Lecter-En-Escarpins. Pas trop tôt... Et puis "no panic"... Fallait le dire vite. Ian faillit le lui faire remarquer, avant de sentir son regard irrémédiablement attiré par les courbes proches de la perfection impeccablement moulées dans la robe de soirée de sa cousine. Oh lala, oui, c'est bon hein! C'était pas le moment, blablabla. Ecoutez, du calme, c'est pas de la faute de Ian si votre cousine à vous ressemble à une marmite. Et puis vu qu'ils allaient sûrement se retrouver dans la panade, autant profiter des derniers petits plaisirs de la vie, non?
"A ton avis, il est venu pour nous botter le cul ?"
Ian accueuillit cette question d'un sourire narquois. Non, bien sûr que non. Il venait simplement pour déguster les meilleurs toast aux crevettes de tout Miami en compagnie de la crème des parrains Allemands et Anglais.

- A mon avis, il est venu parce que se droguer c'est mal. Que faire partie d'une famille de riches pourris jusqu'à l'os, c'est mal vu. Et que manger les gens, c'est assez contraire aux principes éthiques de notre société.

Alors qu'il achevait sa phrase, des bruits de voix et d'assiettes brisées à l'intérieur du restaurant se firent entendre. Ce qui laissait à supposer que le flic semblait assez pressé de faire respecter les sus-dits principes éthiques de notre société. Ian échanga un bref regard avec Nephania. On court? Oui, on court, et plus vite que ça. Il laissa à sa cousine le temps d'enlever ses escarpins puis d'un commun accord, ils s'engouffrèrent dans le dédale des ruelles sombres de Miami, la flicaille braillant "ARRETEZ VOUS AU NOM DE LA LOI, PUTAIN DE MERDE!" à leurs trousses.
Un gros malin a dit un jour "La peur donne des ailes". Eh ben, croyez le ou non, mais ce gars avait raison. De toute sa vie, Ian ne se souvenait pas d'avoir un jour couru aussi vite. Les deux cousins constituaient certainement un spectacle inhabituel aux yeux de ceux qui traînaient dans le coin cette nuit là. C'est vrai quoi : c'est pas commun de voir deux beaux jeunes gens sapés en tenue de cocktail courir comme des dératés en zigzaguant entre les passants, avec un flic gueulard sur les talons. Fort heureusement, aucun d'entre eux n'eut l'idée idiote et suicidaire de se mettre en travers de leur chemin. Nephania à ses côtés, Ian jeta un coup d'oeil par dessus son épaule. Bon. Le flic était tenace, mais pas très rapide. De plus, il ne pouvait pas tirer, sinon il pourrait blesser un innocent. Pauvre handicapé par sa morale WASP.
Les deux cousins, arrivant devant un passage piéton, traversèrent à l'arrache, manquant de se faire renverser, se tirant l'un et l'autre par le bras. Le petit bonhomme passa au rouge. Et là, le flic fit un truc incroyable qui faillit stopper Ian dans sa course. Il s'arrêta, le bouffon. Pour laisser les voitures passer. Si, si, je vous jure. En criant "Vous ne perdez rien pour attendre, petits cons!". Echangeant un bref regard interloqué avec sa cousine, le bel anglais accéléra. Malheureusement, il s'avéra qu'ils débarquèrent dans une impasse sombre. Le flic avait raison: en vérité, ils ne perdaient rien pour attendre. Il allait leur tomber dessus à un moment ou un autre. Et sûrement sous peu. Reprenant son souffle, Ian glissa à sa cousine d'un ton précipité:


- Bon, c'est simple. Dans trois minutes, il débarque. Alors on a pas 36 solutions. Soit on sort d'ici Dieu sait comment. Soit... On se camoufle. Une pute et son client dans le noir, ça passe. Ou alors... On le tue.


Il eut une légère grimaçe de dégout et reprit.


- Sauf que tu le bouffes loin de moi, s'il te plait.

OK. By LV