Il est parfois bien drôle de comparer présent et passé. Il fut un temps où amour, passion et douceur régnaient. La colère s’estompait. La haine s’exilait. Et leurs regards brûlant d’amour se rencontraient. De temps à autre, des murmures se faisaient entendre aussi. Des paroles douces. D’infimes petites lettres, les unes derrière les autres. Formant des phrases que seul un amant éperdu de sa femme pouvait prononcer. Le seigneur s’éprit de sa reine. Chaque soir, il attendait sa venue. Amoureux. Patient. Et livrant défi aux méandres de ce qui l’avait autrefois rongé. Ce qu’on lui avait volé. Un cœur ? Summers ignorait déjà à cette époque s’il en possédait encore un. Un suffisamment puissant pour, ne serait-ce que durant quelques secondes encore, chérir un être. Mon Dieu, que m’as-tu fais ? Les yeux clos. Le visage déformé par la douleur de la perte. Seul, allongé au beau milieu d’un lit aux draps maculés de rouge. Autrefois blanc, les sentiments l’avaient aujourd’hui consumé et couvert sa surface d’un rouge luisant. Brique. Sanglant. Ne dit-on pas pourtant que cette couleur pourpre est synonyme de passion ? D’amour ? De mort… Angel venait de naître. Tel le phénix prend vie, au milieu de ses propres cendres avant de prendre son envole. Une petite fois encore. Juste une dernière fois. Il venait de partir. De s’éloigner de la terre pour visiter les cieux. Emporté dans son élan, il était devenu inconscient. Aveugle presque. Parce que les rayons éblouissants de ce Soleil frappaient de plein fouet ses fragiles iris. Trop longtemps exposées à l’ombre, celles-ci ne savaient guère plus comment différencier le bien du mal. Le blanc du noir. Désormais, le garçon n’était plus qu’un corps. Une enveloppe de chaire conçue pour détruire, anéantir et ne plus rien éprouver… Ou presque. L’importance n’était plus à porter sur la question du bon ou du mauvais choix. Elle résidait simplement dans ses émotions aujourd’hui. Après tout, n’était-ce pas ses sentiments qui lui avaient, jusqu’à ce jour, éclairé le chemin ? Chemin conduisant jusqu’aux ombres de ses erreurs.

Le doux murmure de sa bien-aimée résonna dans la suite les abritant. Elle le repoussa. Geste arrachant un fin rictus au pauvre concerné. Il souriait pourtant. D’un regard de braise, une expression pleine de malice, avec cette infime touche de déception au creux des prunelles. Comme si, au fond, cette sentence qu’on lui attribuait le touchait. Lui, le Dieu des dieux. Maître des lieux. Affaibli moralement, il fallait croire que même le pire des démons pouvait éprouver quelques vagues de sentiments vrais. A quoi jalouser un être si on ne l’aime pas ? Une question qui resta au fond des esprits du garçon alors qu’il écoutait, amusé, les dires lui étant attribués. Que de cruauté. Que de reproches. Faith désirait donc enfoncée elle-même son propre poignard dans le cœur de l’ange noir ? Devait-il en être ainsi ? Inspirant, Summers baissa lentement le visage. N’ajoutant nul mot à cela, il tourna les talons. Tâchons donc de s’immiscer dans son propre jeu. A qui donc emporta le droit d’exercer son orgueil sur l’autre.

La démarche féline d’Angel le jusqu’au premier meuble de bois qu’il rencontra. Table basse en chêne. Dessus y était posée une coupe de verre. Dedans, fruits divers. Parmi ceux-ci : des cerises. Le sourire d’Angel s’accentua légèrement, posant le bout de ses doigts sur l’une des tiges se présentant à lui. Il en tira délicatement un couple qu’il contempla à la hauteur de ses yeux. Deux minuscules boules à la chair rouge. Le coloris sanglant. La peau lisse, chacune des deux petites cerises semblaient enclin à une parfaite harmonie. Douce, voluptueuse, mais présente. Fermant les yeux, le Dieu posa le premier membre du couple sur le bout de sa langue, prenant un malin plaisir à se délecter d’un vulgaire fruit rouge. Si impuissant… Si vulnérable. Le second membre… Il y resserra sa poigne dessus. Quelques gouttes rouges perlèrent de ses doigts, la seconde petite cerise n’était plus que restes et bouillie. Se faisant, le regard du démon se posa sur son épouse. Une menace silencieuse s’installa. Angel venait d’avaler son met. Une grimace de dégoût s’était formée sur son visage. « Vois-tu mon amour, comme un couple peut si rapidement être séparé et détruit ? ». Une phrase qu’il ne prononça pas à voix haute. Sachant pertinemment qu’elle l’aurait comprise. Elle, épouse si rusée.

Qu’il plonge dans les ténèbres de ses mœurs, ça lui serait égal. Qu’il dévore l’amour d’autres femmes. Qu’il désire encore un peu plus abîmé l’image de sa divinité. Le mari ne pouvait guère se vanter de sa dépendance : corps et âme, il restait malgré tout lié à elle. Parce qu’il le savait, et elle aussi : Faith et Angel formaient bien plus qu’un couple. Au delà des sentiments qu’ils éprouvent l’un pour l’autre, leur rage mutuelle les a soudés. Comme deux jumeaux du même sang, ils présentent les mêmes horreurs. Parce qu’ils ont bâti ensembles un empire, ils ne peuvent s’abstenir de leur tâche, quelque soient les échappatoires qui se présenteront. Au fond, peut-être n’est-ce tout simplement là que la punition que leur accordent les Dieux qu’ils ont détruits ? Être tout aussi abjectes que menteurs. Mensonges… Oh doux murmures que l’on susurre aux petits enfants en citant de belles phrases. Il n’en est rien. Deux, en duo, en couple, ils les ont exterminés. Reprenant de droit la rage que ces bêtes leur avaient octroyée. Qu’ils soient invités à écouter : le chant de leur mort prochaine venait de sonner dès lors que deux regards de braise venaient de se croiser.

Une étincelle illumina subitement le regard de l’ange. Il s’avança, en une nouvelle approche. Délicate. Tel le murmure de ses paroles longent avec volupté les airs, lui, franchissait avec souplesse la distance qui les séparait. L’épouse et l’époux. L’aimée et l’amant. Elle lui semblait pourtant tellement loin… Tellement intouchable… Imprenable. Comme l’or et le diamant, il semblait illicite d’oser l’effleurer, la regarder, voir même respirer son air. Et pourtant… L’ange noir n’hésitait certainement pas à s’éprendre de chacun de ces actes interdits. Etait-il si difficile pour un homme de se défaire de la chaire qu’il a toujours apprécié goûter ? Fallait-il seulement y croire ?... L’expression de son visage changea du tout au tout. Abandonnant la malice, accueillant une forme expressive de douleur. Souffrance ô combien coûteuse pour le cœur endoloris des amoureux d’une nuit. La bouche délicatement entrouverte, l’homme se présenta face à sa femme. Il s’abaissa. Tel le valet devant son seigneur. Posant un genou à terre. Attrapant doucement chacune de ses mains qu’il porta machinalement à ses propres lèvres. Les baisant sur le dos. Les paupières couvrant le coloris de ses yeux. Si la soumission avait été un jour ce que le Dieu avait pris plaisir à voir s’effectuer face à lui, en cette soirée qui couvre la colère des amants, il souhaitait plus que tout s’enivrer d’une toute autre forme de plaisir. Plaisir que son épouse n’hésiterait sans doute pas à lui procurer : la haine, le dégoût, et l’ignorance. Quelle ironie…

« Mon coeur... M’as-tu seulement un jour regardé comme ton époux ? » Son expression laissa un doucereux rictus se former sur la commissure de ses lèvres. Ecoeurement vis-à-vis d'une personne aimée, il reprit plus bas : « Je suis faible, certes. Je me meurs de te voir t’exhiber ailleurs. Il fût un temps où Angel ne craignait guère la tromperie de son épouse, parce qu’il était certain d’être aimé. Puis-je encore, en ce jour, ignorer une telle appréhension ? C’est à toi de me le dicter mon amour. »

Sa bouche resta quelques secondes entrouvertes. Son regard clos, sombre, fermé, ne laissait rien paraître. Fixant juste un point immobile sur le dos de la main qu’il tenait. Un sourire qui se dépose délicatement sur la peau d’un être cher, et Summers baise docilement la chair de celle qui portait son nom. Depuis combien de temps n’avait-il plus goûté à un geste aussi tendre envers elle ? Quoique ladite chose ne présente certainement de peu d’importance pour cette ombre d’épouse, Angel n’aspirait plus qu’à désirer une dernière fois ce plaisir qui lui avait été soutiré : celui d’aimer. Celui d’étreindre et d’embrasser avec cette flamme, tiraillant le bout de ses doigts et l’intérieur de ses prunelles. Mais pouvait-on seulement appeler ce détail ‘’amour’’ ? Si ce soir, tout cela ne possédait plus guère d’importance, il n’en était pas moins vrai que le couple avait un jour connu un bonheur intense. Si intense que des Hommes ont péris en voulant rompre leur paradis. Douce vision utopique du monde : celle de la vengeance, de la cruauté, et de la passion. Et sur ces quelques délicates pensées, il se redressa. Tel le tout puissant. Le vaniteux. Le grand. Le blond jeune homme retrouva une toute nouvelle proximité avec sa femme. Une proximité qui n’avait plus eu lieu depuis quelques décennies aux yeux de l’immortel. Les traits d’un regard tiré. Quelques tremblements frêles du bout des doigts, et le diable amena sans opinion une de ses mains se poser contre la joue de… ‘’l’objet’’. L’esclave disait-elle…

Il aurait seulement désiré hurler.

Lui faire comprendre que tout ce qu’elle avait pu songer était faux. L’enlacer à nouveau parce qu’il ne tenait qu’à ça. S’octroyer de nouveau les interdits. Mais tout cela ne serait pourtant que mensonges. Fuite. Parce qu’il ne désirait au fond qu’une échappatoire digne de sa carrure : au nom de chaque être amoureux sur cette planète, Angel ignorait encore s’il savait éprouver des sentiments véritables. Juste pour un baiser échangé avec une autre… Juste pour un geste incontrôlé et pourtant voulu depuis fort longtemps. Tout cela, se présentant cependant sous une toute nouvelle forme d’interdit. D’un côté l’ombre, de l’autre l’ange : Angel et Sara. N’avait-elle donc pas eu si tord que cela à prononcer ces mots si blessants ? Faith était loin de se présenter comme une épouse naïve que l’on pouvait contrôler à sa guise. Loin de là. Elle représentait même l’opposé de cette vision idéalisée de la femme. Etait-ce alors en cela qu’aspirait notre beau dieu ? En l’amour incontrôlable ? Tapi dans un nuage de brume, où il n’entrevoyait pas même une petite lumière d’espoir : celui d’être amoureux jusqu’à la fin de ses jours. Egoïste personnage. Summers ne fit pas la bêtise de la défier. Il se contenta de son plein gré d’effleurer ses mèches dorées de cheveux tout en collant son souffle près de l’oreille de sa bien-aimée. Sur la joue douce de sa femme, des marques rouges se dessinèrent : le sang du fruit que l’homme avait tué, il le partageait. Lui faisant gouter. Apprécier. [...]

OK. By Raph'