« Je suis issu d'une famille qui n'a jamais eu d'ambition, dont les revenus permettent un niveau de vie décent, et qui ne cherchera jamais à avoir plus. Une famille qui ne semble présenter aucun réel intérêt. Des parents smicards dont la vie est rythmée par le travail et les soirées passées devant la télé, une soeur adolescente qui est en pleine période de rébellion et enchaîne les conneries, un frère aîné qui rend fréquemment visite aux médecins de l'HP. Agé de 26 ans, Je suis un éternel étudiant en 8ème année de médecine légale qui paye ses cours en travaillant à mi temps en tant que agent d'amphithéatre dans la morgue principale de la ville. Je ne peux parler de mon job sans évoquer Cassandre Parsons, ma collègue avec qui j'entretiens des rapports exécrables. Une véritable peste. Et encore, peste est un doux euphémisme pour qualifier cette fille. Depuis qu'elle a commis cet acte, je fais tout pour que sa vie soit un réel enfer. Et ce n'est que le début. Mais assez parlé d'elle, elle pollue déjà suffisamment ma vie & mon entourage. Je vis dans un appartement qui ressemble plus à un petit taudis sordide qu'autre chose en compagnie de Josh, un ami que je traîne depuis mon adolescence. Dans l'incapacité de payer le loyer seul depuis le décès de ma petite amie survenu il y a deux ans, j'ai dû me résoudre à lui proposer une colocation pour ne pas me retrouver dans la rue ou retourner chez mes parents. Pour résumer, je ne suis qu'un petit citoyen américain qui a été plusieurs fois épinglé par la police, qui fait tout pour s'évader de sa morne existence, où les jours défilent et se répètent inlassablement. »

-Qu'entendez-vous par problèmes, Docteur? C'est une question assez vaste. Tout dépend de la notion de "problèmes". Si c'est ce à quoi vous pensez, je n'ai jamais été battu par mes parents, ni victime de quelconque violence physique, ou encore abus sexuels. Cette réponse vous convient-elle, Docteur?
-Votre frère n'a pas le même discours que vous. Lors de notre dernier rendez-vous, il a mentionné un...
-Mon frère tient des propos incohérents. Avez-vous un autre sujet de discussion, Docteur? Je pense écourter notre entretien, si vous n'y voyez pas d'inconvénient. Un client en moins - pardon, patient - ne serait pas de bonne augure pour vos affaires qui ne sont pas au beau fixe en ce moment. On m'a fait quelques petites confidences facheuses sur vous.

Une odeur de vieil alcool mêlée aux lourdes senteurs d'encens embaumait l'appartement. La pièce baignait dans une douce lumière orangée qui filtrait à travers les minces rideaux, prélude du crépuscule. Les bouteilles vides jonchées sur le sol étaient le dernier vestige de la soirée passée. Assis en tailleur au centre du salon, Leandre se délectait du calme qui régnait désormais. La faible luminosité laissait seulement apercevoir les lèvres de Joshua, dévorées par un rictus. Encadré par les ombres dansantes qui se mouvaient sur les murs, ce visage tordu fit à Léandre l'effet d'un film d'horreur. La voix rauque de Josh, qui complétait à la perfection ce tableau, brisa le silence pesant.

- Lys Parsons.
Leandre lança un regard étonné à son ami à la mention de ce nom.
-Pardon?
- J'ai dit Lys Parsons.
-Merci, j'avais compris. Je sais bien que tu es imbibé d'alcool, mais je me demande juste pourquoi tu évoques cette pauvre fille.

Lys Parsons. Un phénomène à elle seule. Non par sa beauté : contrairement à sa soeur, rien ne pouvait la distinguer de la masse de personnes passant quotidiennement dans les rues de NYC. Un visage commun, une silhouette standart, loin de l'aura que Cassandre dégageait. Non par son intelligence: Lys Parsons, qui fréquentait le campus voisin de celui de Leandre, n'était pas réputée pour être la première de sa promo ni pour déserter les couloirs de la fac. Ni une surdouée, ni un cas désespéré. Peut-être le seul trait qui lui faisait défaut était sa naïveté, une naïveté hors du commun comme il en existe rarement. Le fait qui lui était reproché était plus subtil. Plus vicieux également. La jeune femme avait eu le malheur par le passé d'avoir été attirée par Stanley Matthews. Une ordure. Bon à être enfermé. Lys Parsons était rapidement devenue sa cible préférée, celle qui était raillée et sifflée, celle à qui l'on souhaitait tous les malheurs et toutes les gaffes du monde, dans le seul but de se distraire devant l'humiliation subie.

- Leandre, tu pourrais montrer plus d'intérêt lors des discussions? Stan a eu une idée de génie tout à l'heure, quand tu comatais devant la télé. Pourrir l'existence de quelqu'un. Le harceler, jusqu'à ce qu'il craque. Voir et comprendre les limites de la raison humaine. Prends ça comme une expérience, avec un cobaye et un scientifique.
-Sois plus explicite.
- Tu es le scientifique. Le maître de l'opération, assisté par moi. En tant que colocataire, je pourrais veiller au bon déroulement des opérations. Et Lys Parsons est notre victime. Enfin, cobaye en langage civilisé.
- Tu connais déjà ma réponse.
- Il y a une chose que tu n'as pas comprise, Leandre. Tu as été désigné. Et si tu persistes à refuser, souviens-toi de la petite soirée que tu avais donnée il y a quelques mois déjà - le temps passe vite - celle qui avait quelque peu... dérapée. Oh, tu ne te souviens pas de grand chose, normal vu ton état du moment. Mais nous, on se souvient de tout. En détail et en précision, de quoi faire une bonne déclaration. C'était quoi le nom de la fille, déjà...?

La mort en elle-même est déjà l'enfer pour Léandre. Se détacher de ses biens, quitter ses souvenirs pour basculer dans l'abîme et affronter l'inconnu, d'autant plus que contrairement aux croyances chrétiennes qui lui ont été inculquées, Léandre ne croît pas en la vie après la mort. La vie après la mort, ou le moyen de se rassurer quand la fin approche... Paradoxalement, Léandre cotoye quotidiennement des cadavres ayant subis les pires sévices et ayant connus des fins souvent plus douloureuses les unes que les autres. La routine serait également un enfer. Une succession d'événements lassants et similaires qui composeraient son quotidien. Une vie morne et sans intérêt. Un peu ce à quoi il tente d'échapper en permanence. C'est l'image de ses parents qui le hante et lui fait promettre de toujours chercher à égayer son existence pour la rendre plus... attrayante. Léandre ne se voit pas du tout comme son père, à se lever le matin pour effectuer un travail qui ne lui procure aucun plaisir, rentrer le soir et se mettre à table, le dîner soigneusement prêt, et dormir sagement aux côtés de sa femme tous les soirs. Heureusement, la thanatopraxie & la médecine légale semblent déjà un bon début pour éviter l'ennui.

Réussir sa vie professionnelle sera déjà un bon début pour Léandre, les études de médecine légale étant longues et fastidieuses. Avant tout, il souhaiterait combler ses ambitions et prouver ses capacités, sans doute pour échapper au schéma familial. Atteindre une sérénité qu'il n'a jamais connue jusqu'à maintenant, en éradiquant toutes les zones d'ombre de sa mémoire qui le tourmentent et le rongent. Ou trouver un but à sa vie, plus simplement.

Je pense 25/100 pour les actes reconnus et jugés, puisque Léandre a commis plusieurs délits sans grande importance, la majeure partie lors de son adolescence comme des délits de fuite, entrave à la circulation, conduite en état d'ivresse, injures, intimidations & harcèlement moral, bien que ces deux derniers actes soient plus récents puisque la victime est Cassandre Parsons, collègue de Léandre.