L’italien était toujours en quête d’Andréa, cette traîtresse qu’il n’aurait de cesse de poursuivre afin d’accomplir son noir dessin. Pourtant aucun individu ne lui donna de réponse satisfaisante quant à une présence supposée de la jeune femme entre ces quatre murs, et Charles se résolut finalement à reconnaître qu’il s’était fait duper par son ‘ami’, tout simplement. Néanmoins, son dernier essai de la journée sembla porter ses fruits, ou en tout cas le dirigea sur une piste qu’il n’était pas sûr de vouloir suivre. Andréa … Ce prénom sembla familier à ce vieux vampire qu’il interrogeait, et ses yeux s’agrandirent comme des soucoupes, laissant le jeune homme espérer une réponse constructive.



Et la jolie petite histoire lui fut contée. Des années plus tôt une jeune esclave avait caché des écrits dans cette bibliothèque, à l’intérieur d’une salle qu’elle avait sans doute découvert par pur hasard et dont l’existence avait été délaissée par la ville. Elle et d’autres mortels entretenaient une correspondance secrète où ils exposaient leurs diverses machinations afin de quitter ce lieu, leurs contacts, leurs pensées, leurs plans. Cela était bien plus facile et discret que de se regrouper, ce qui aurait indéniablement attiré l’attention des caïnites. Mais les allers et venues entre cet établissement et le palais avait éveillé la curiosité de l’un des maîtres, qui avait alors découvert ces longues descriptions que les humains faisaient de ce lieu et de leurs sentiments, ainsi que des dizaines d’autres papiers qui retraçaient leurs espoirs de fuite et leur vaste entreprise d’échapper à XXX. Cette initiative ne fut guère appréciée des immortels qui furent aussitôt mis au courant ; les esclaves furent sévèrement châtiés ou tout simplement exterminés, et leurs bouquins secrets furent totalement détruits. Dès lors l’entrée de cette pièce fut bouclée, et sur la porte l’on trouvait une interdiction formelle de la forcer.
Toutefois cette pièce ne fut pas abandonnée comme la majorité le pensa, car petit à petit des caïnites y exposèrent leurs œuvres, que seuls les vampires ayant connaissance de l’existence du secret avaient loisir de consulter … L’on racontait que des membres de leur race, mécontent de l’existence de cet endroit, avait rendu à cette salle son utilisation première, soit comploter contre les caïnites. Cela restait un mythe que l’on murmurait parfois à voix basse, sans savoir où se trouvait réellement la vérité, car lorsque l’on posait un pied dans ce sous-sol normalement interdit d’accès, on ne trouvait que de vieux bouquins écrits de la main des immortels, sans grand intérêt. Des biographies principalement. En tout cas, étant donné la langue bien pendue de cet homme qui lui avait fait cette petit confidence, il valait mieux que la légende soit fausse, sans quoi les vampires se soulevant contre le roi n’auraient guère de répit. Mais il était également possible que personne n’accorde de crédit à ce fou, et Charles se demandait d’ailleurs pourquoi lui, dérogeait à la règle …
Bref, toujours était-il qu’un allemand très largement imbu de sa personne et à la plume parfois simple, s’était adonnée à la rédaction du portrait des nombreux caïnites qui avaient croisé sa route, tant au sein de son pays d’origine que dans les contrées qu’il avait parcourues. Ainsi, l’on pouvait s’amuser à y découvrir des personnalités que l’on avait côtoyées ou que l’on côtoyait toujours, et le nom d’une Andréa correspondant aux traits physiques qu’il lui avait fournis y figurait, lui semblait-il. Une bien maigre information qui s’avèrerait sans doute infondée étant donné la quantité de femmes vampires portant cette appellation, néanmoins cela valait toujours le coup de vérifier …


Le soleil venait de répandre ses derniers rayons sur terre avant de disparaître lentement, marquant le début d’une journée pour un enfant de la nuit. Charles ne perdit pas une seconde et s’empressa de quitter le palais et ses occupants, bien trop impatient de vérifier l’information qu’il avait couvée ces deux derniers jours. Son teint était plus pâle que jamais, son corps manquant terriblement de substance nutritive, néanmoins il n’aurait guère le temps de subvenir à ce désir sanguinaire. D’abord il se rendrait dans cet établissement dont on lui avait conté une histoire bien étrange, ensuite il ‘emprunterait’ ce bouquin qu’il convoitait, et seulement alors il parcourrait les ruelles de cette ville endormie afin de trouver sa prochaine victime. Les choses devaient se faire dans l’ordre, et malgré son affaiblissement il prit soin de colorer sa peau d’un ton hâlé qui ne tarderait pas à faiblir. Il devait se presser d’accomplir son action, sans quoi les humains le regarderaient d’un œil interrogateur et mauvais.
Il ne lui fallut pas plus d’une dizaine de minutes avant d’atteindre sa destination, et d’observer d’un regard distrait les horaires inscrites sur une petite pancarte à fond beige « Fermeture à 22h ». Parfait, vraiment parfait. Il avait craint bien sûr de ne pouvoir chercher cette pièce secrète à une heure aussi avancée de la soirée, où le soleil résistait de plus en plus à la volonté de la lune. Cependant il semblait que les mortels ne redoutaient pas la venue de ce manteau sombre, un avantage pour sa ‘mission’. L’italien grimpa les marches hâtivement, puis posa enfin un pied à l’intérieur même de la bibliothèque. Une très vaste pièce comportant une multitude de rayons, de tables et de chaises, l’accueillit. La décoration, dans les tons bleus et or, ne retint pas vraiment son attention malgré une grandeur particulière et l’âge élevé des tapisseries, du mobilier ainsi que des tableaux accrochés aux murs. Authentiques, sans aucun doute. Mais là n’était pas l’important. Humant cette odeur de papier mêlée aux parfums d’humains, les paupières du jeune homme se fermèrent un instant. Résister à la tentation de ces veines palpitantes lui devenait de plus en plus difficile …

Secouant la tête pour chasser toute vision de ce genre, Charles entreprit de scruter minutieusement chaque recoin de cette salle, calculant, identifiant, mémorisant. L’observation avant tout, cela restait son mode d’opération. Il compta douze mortels, s’assura que la jeune femme chargée de donner des renseignements restait à son poste, puis s’avança enfin dans l’allée centrale en jetant quelques regards afin de rajouter d’éventuels individus qui auraient échappé à sa vue d’ensemble. Une fois le bout du ‘couloir’ atteint, il bifurqua sur sa gauche, pénétrant dans une pièce plus réduite. Il y en avait dix de la sorte, également réparties des deux côtés de l’allée principale, enfoncées dans le mur et contenant chacune quatre tables. Deux jeunes femmes occupaient les lieux, ce qui renfrogna un moment la mine de l’italien, néanmoins lorsqu’il aperçut le rayonnage qui l’intéressait, son visage s’éclaira de nouveau. Prit d’une soudaine impatience, ses pas le menèrent tout droit en direction d’une rangée de vieux bouquins sur la marine qui voilaient cette porte interdite, camouflant sa silhouette aux yeux des demoiselles, qui songeraient certainement qu’il mettait un temps anormalement long à choisir son ouvrage.
Mais après tout, qui ferait attention à lui ? Usant de sa force inhumaine, il n’eut aucun mal à faire sauter le verrou qui empêchait quiconque de pénétrer de l’autre côté. Découvrant une volée de marches semblant descendre en enfer, le jeune homme s’y engouffra avec tant de hâte que la porte resta entrouverte, laissant filtrer la lueur mouvante des bougies ancrées dans le mur.

Cette salle méconnue de tous présentait l’apparence d’une cellule, dans laquelle s’entassaient des dizaines d’ouvrages répartis à la va vite, de n’importe quelle façon. De toute évidence, on avait délaissé cette pièce depuis fort longtemps … Ces murs de pierre, cette poussière recouvrant les livres, ces auteurs inconnus … Charles faillit bien exécuter un demi-tour, déçu de sa découverte, lorsqu’il songea aux flammes qui dansaient tout le long de l’escalier en colimaçon qui l’avait conduit ici. A moins qu’un caïnite n’ait ensorcelé ces bougies, des individus devaient s’y rendre régulièrement afin de maintenir cette lumière artificielle. L’histoire de ce vieux Monsieur était donc peut-être fondée … Passons, ce n’était pas cette affaire qui l’avait mené dans cet endroit de toute manière. L’italien commença à fouiller parmi les différents ouvrages, cherchant le nom de « Lützren », vampire à l’origine de ce recueil dont on lui avait confié l’existence. Ne faisant preuve d’aucune délicatesse à l’égard de ces vieux livres, Charles les écartait sans ménagement lorsqu’ils ne correspondaient pas à ses recherches, cessant d’utiliser son pouvoir qui réclamait trop de forces et redonnant ainsi à sa peau une teinte blême.
Néanmoins cela ne dura guère longtemps, car son ouïe développée et son odorat captèrent sans mal la présence d’un mortel non loin. Quelqu’un qui descendait les marches, cela était certain, un petit curieux qui venait déranger ses plans et sa tranquillité. Poussant un bruyant soupir, le teint du jeune homme devint de nouveau plus mâte, et il reprit sa recherche avec une distraction feinte. S’il accueillait l’intrus avec un grand sourire, nul doute que celui-ci se poserait quelques questions. Il songea bien entendu à en faire son repas, toutefois l’idée de laisser pourrir un cadavre dans cette pièce contigüe ne lui paraissait guère ingénieuse.

OK. par Dale