Début décembre 2016, en soirée – Appartement de Cillian Henderson
▬ Bon tu les brasses toi-même ces bières Henderson ou quoi ? »Une vague réponse de protestation lui parvint de la cuisine tandis qu’Erika gardait un œil sur l’écran de télévision en face d’elle. Elle laissa un sourire naître sur ses lèvres. Passer la soirée chez son partenaire était assez rare pour qu’elle en apprécie l’exclusivité. Entre elle avec son avocat, le boulot, la fatigue, lui et sa dernière idylle, ils ne se gardaient que rarement ce genre d’occasions préférant chacun construire le peu de vie intime et sociale qu’ils étaient en mesure de conserver intacte. Ce soir cependant, l’honneur était à l’un de leur point commun.
▬ Dépêche-toi, le match va s’ouvrir sans toi sinon ! » le pressa-t-elle.
Un grommellement étouffé lui répondit suivi du bruit plaisant de bouteilles de verre qui s’entrechoquent entre elles. Cillian réapparut et la rejoignit sur le canapé défoncé qui faisait face à la télévision. Il s’y laissa tomber avec toute l’absence de grâce qui le caractérisait. Les yeux fixés sur l’écran, Erika lui accorda une brève seconde d’attention quand il lui tendit sa bière. Les présentateurs étaient déjà à l’œuvre pour discuter des différents enjeux du match qui allait se dérouler et elle ne voulait rater pour rien au monde le coup d’envoi. Voyant que la caméra tournait encore sur les différents angles de vue du terrain, elle se tourna vers Cillian et leva sa bouteille pour trinquer.
▬ A la tienne espèce de singe! »Leur bouteille se cognèrent l’une contre l’autre avant qu’Erika ne porte la sienne à ses lèvres. Jetant à nouveau un regard sur l’appartement d’Henderson qu’elle commençait un peu à connaître à présent que leur relation s’était nettement améliorée et qu’ils s’étaient découvert tous deux une passion commune pour le basket, elle ne put s’empêcher de penser à toute autre chose. Elle fronça légèrement les sourcils d’un air malgré tout amusé.
▬ Alexei ne pète pas un plomb quand elle vient chez toi ? »Elle désigna le désordre général, ou plutôt l’absence d’ordre, qui devait certainement mettre les nerfs de la légiste en boule étant donné son versant particulièrement maniaque. Elle avait fait de la morgue et son domicile les lieux les plus stériles et les mieux rangés de tout New York. Erika était moins bordélique que ça, voire même plutôt ordonnée lorsqu’il s’agissait de son bureau ou certains coins de son appartement mais Alexei battait des records en recherchant jusqu’au parallélisme de ses stylos et ses scalpels. Un contraste flagrant avec l’ex-soldat qui vivait dans ce qui ressemblait à un mini-chaos à côté d’elle. Erika se demandait encore comment ces deux-là avaient fait pour se plaire tant ils étaient différents. Sans doute était-ce cela d’ailleurs. Ils se complétaient. Tout comme August et elle étaient deux opposés qui s’étaient attirés.
Elle repensa à cette soirée d’anniversaire, cet été, où elle lui avait demandé de vivre avec elle. Effrayante demande qui lui avait valu de mettre dans la balance les nombreux sentiments qu’elle éprouvait pour l’avocat, espérant que les siens pencheraient aussi en sa faveur. Et ça avait été le cas. August avait accepté. Les choses bien évidemment s’étaient faites rattrapées par la réalité et si officieusement Erika ne vivait plus vraiment dans son appartement, officiellement elle ne faisait ses ultimes cartons et rendait sa clé que demain matin. Une lenteur d’action qui lui avait sans doute été bénéfique, tant parce qu’elle n’avait guère eu le temps suite à une enquête prenante de faire ses cartons d’une traite, que parce que l’idée de changer son quotidien du jour au lendemain ne saillait guère à ses habitudes. Ils avaient pris leur temps et la jeune femme se sentait à présent prête à tourner cette page de sa vie, à emménager complètement chez l’avocat et faire de son quotidien… leur quotidien.
Elle refusait pour le moment de songer aux difficultés qui pourraient survenir, à la façon dont le prendrait Sacha, la fille de l’avocat, à la façon dont August allait gérer ses allées et venues aléatoires lors d’enquêtes importantes, à comment elle gérerait les siennes lors de procès litigieux. Ils faisaient déjà plus ou moins face à ce genre de situations depuis quelques mois et si les crocs se dévoilaient plus que d’ordinaire, ils trouvaient toujours une façon adéquate de résoudre leurs conflits entre adultes consentants. Après tout qui avait dit que la vie à deux était un long fleuve tranquille ? Il fallait que chacun trouve sa place à côté de l’autre, définisse son espace personnel et commun. Une véritable leçon de territorialité qu’Erika menait non sans difficulté par moments. Elle tâchait de se rappeler dans ces instants que l’étreinte de l’avocat au réveil et sa présence le soir en rentrant du poste valaient bien quelques grincements de dents et autres efforts du quotidien. Après tout, elle n’était pas un cadeau non plus …
Revenant à sa conversation avec Cillian, elle ne put s’empêcher d’ajouter en riant:
▬ A part la bâillonner, t’as trouvé un moyen quand vous êtes au lit pour qu’elle arrête de te dire que les draps ne sont pas de la même couleur que les oreillers ? » Elle se rendit compte de la potentielle réponse possible avant même que celle de Cillian ne franchisse ses lèvres. Amis de la poésie bonsoir !